jeudi, mai 27, 2010

"IL N'Y EN AURA PAS DE FACILE"

vol. 10, no. 6, Nouvelle édition, 31 mai 2010, $ 1.00

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Les travailleurs européens se mobilisent

C’est presque le jeu du chat et de la souris. Chaque année à la veille du Premier mai, le grand patronat français conditionne l’opinion publique, via ses moyens de communication de masse, pour décourager les travailleurs de participer aux marches de protestation lors de l’évènement printanier par excellence pour le prolétariat de l’Hexagone, soit la Fête internationale des travailleurs. "C'est la crise, mais personne n'y peut rien!!!"

Malgré tout, le quotidien communiste l’Humanité rapportait tout juste la veille, suite à un sondage qu’ « à 70%, les Français soutiennent ou expriment de la sympathie pour les manifestations unitaires du 1er mai » organisées notamment par la Confédération générale du travail (CGT), une hausse de 6 points depuis 1995; seulement 2% y sont hostiles.
Des militants de la centrale syndicale ont d’ailleurs distribué des tracts dans les marchés publics où on pouvait lire que « pourtant, loin de la fatalité et de la résignation, dans un nombre grandissant d’entreprises du secteur privé et du secteur public, des milliers de salarié(e)s luttent pour leurs rémunérations, pour l’emploi et l’avenir économique, pour une politique industrielle en France et en Europe. »
(Photo: manifestation du Premier mai 2010 à Paris; cortège de la CGT, solidaire du peuple cubain).

Mais tous avaient les yeux rivés sur la Grèce; incidemment un des dirigeants du Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF), Daniel Antonini, lançait : « le parti communiste de Grèce, KKE, est le fer de lance de la lutte pour le maintien des acquis des travailleurs européens ».

Comme l’a écrit récemment l’ancien directeur de la section internationale et préalablement correspondant de l’Humanité à Cuba (dans les années 1970), José Fort, à propos de la péninsule hellénique : « La Grèce n’est pas en faillite pour tout le monde. Les privilégiés de la fortune vont bien. Très bien même, grâce à leurs sport préféré : la fraude fiscale, estimée à 20 milliards d’euros chaque année (plus de 25 milliards $). » Citant « Le Monde diplomatique », il poursuit : « une partie importante, mais difficile à évaluer, a atterri sur des comptes privés (il fait référence à l’aide internationale, ndlr). Cette dilapidation des fonds et la modération de l’imposition sur les hauts revenus se reflètent dans les yachts et les voitures de luxe, et plus encore dans les villas de week-end des faubourgs résidentiels d’Athènes. »

À peine deux semaines plus tard, un permanent de la CGT, Pierre Judith confiait à La Vie Réelle : « le gouvernement (français, ndlr) vient de nous faire connaître son plan de rigueur, qui toutes proportions gardées, suit ceux du Portugal, de l’Espagne, après celui de la Grèce. L’Europe va se serrer la ceinture… les agents publics avec les salariés du privé vont connaître une nouvelle réforme des retraites en recul des droits. " Une action nationale intersyndicale et interprofessionnelle a eu lieu depuis, le 27 mai. »
(Photo: manifestation populaire le 5 mai 2010 devant une délégation européenne à Paris en solidarité avec le peuple grec; ici bannière de la Confédération générale du travail-CGT).


Ce qui se passe en France

L’Humanité-Dimanche publiée pour le 1er mai a révélé qu’ « en un an, le nombre de chômeurs en France a progressé de 14,4% et flirte désormais autour des 4 millions [alors qu’une firme comme Unilever, produits alimentaires] a dégagé 3,7 milliards d’euros (près de 5 milliards $, ndlr) de bénéfice pour un chiffre d’affaires de 40 milliards en 2009 et les dividendes versés aux actionnaires entre 2007 et 2008 s’élèvent à 1,5 milliard d’euros. »
Voilà, ce que veut dissimuler notre « chat » : une panse gargantuesque et jamais rassasiée; alors prenez garde les « souris »! Dès le premier lundi qui suivit la manifestation parisienne du 1er mai, le journal du milieu des affaires Les Échos, l’air un peu « surpris », titre : Le 1er Mai, la mobilisation a été moins forte qu’en 2009. Le quotidien ne dit mot sur les revendications ouvrières, à peine une interrogation : « Y a-t-il un lien entre la crise grecque et la réforme des retraites telle qu’elle se prépare en France ces jours-ci? » Un spécialiste, conseiller officieux du président Nicolas Sarkozy, Alain Minc, -obscur personnage au Canada- affirme que les politiques gouvernementales doivent être « un signe envoyé aux marchés financiers ».
Le journal l’Humanité conteste : « Les manifestations du 1er Mai ont rassemblé plus de 300 000
personnes en France. Pour les syndicats […] il s’agit d’une ‘base de mobilisation importante’.
Ce que propose le Parti communiste de Grèce (KKE)

« Le temps est venu pour un front populaire et social. […] Pour cette raison, rassembler des forces avec le KKE est nécessaire, peu importe si les travailleurs sont d’accord avec le KKE sur tout, ou si ils ont des interrogations ou des points de vue différents sur le socialisme. […] Les prémisses d’un tel front existent aujourd’hui comme le démontrent le Front militant des travailleurs (PAME), le Rassemblement grec antimonopoliste des travailleurs indépendants et des petits commerçants (PASEVE), le Rassemblement militant des paysans (PASY), le Front militant des étudiants (MAS)… »
Le KKE ajoute : « Nous ne faisons pas nôtre l’opinion selon laquelle les sacrifices du peuple n’iront nulle part. »
Portant son regard sur l’avenir et le socialisme, le parti rappelle que : « La Grèce a un niveau satisfaisant de concentration de la production, des moyens de production, un réseau commercial dense, et un niveau assez élevé de développement dans les technologies modernes. Elle a une main-d’œuvre conséquente, expérimentée, avec un niveau d’éducation et une spécialisation avancés par rapport aux générations précédentes, et une main-d’œuvre importante dans le domaine scientifique. »
« Elle a des ressources naturelles de valeur et productrices de richesses, d’importantes réserves de richesses minérales, qui sont un atout dans la production industrielle et la production de biens de consommation. Elle a le grand avantage de pouvoir assurer une production de nourriture suffisante tant pour répondre aux besoins du peuple que pour exporter. Elle a des capacités pour produire des produits modernes, de machines, d’outils et d’appareils. » Notons en passant que depuis les dernières années, avant la crise, près de la moitié de l'immigration grecque à Montréal (35 000 ou 40 000 personnes) était retournée vivre en Grèce, profitant de "l'embellie".

À ceux-ci et à tout le peuple grec, le KKE propose une économie populaire. Enfin, « la nécessité de satisfaire les besoins modernes diversifiés des travailleurs, la nécessité de développer les moyens de production, de développer la science et la technologie dans les intérêts du peuple, font de la planification centralisée une nécessité vitale. »

Parce que le progrès peut exister
(Affiche dans le métro de Paris. On pourrait paraphraser et attribuer la réplique au grand patronat européen).
Tout comme en Grèce, on lutte aussi en France pour le socialisme. Le Pôle de Renaissance Communiste en France y va d’un mot de Lénine : « Quand ceux d’en haut ne veulent plus gouverner comme avant, quand ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant, alors s’ouvre une époque de révolution ». C’est pourquoi le Pôle insiste sur l’unité d’action des communistes. Au passage, il souligne que « tant que le PCF (parti communiste français, ndlr) était marxiste-léniniste et privilégiait ses liens avec la classe ouvrière, l’objectif du changement de société inspirait les luttes, les acquis sociaux étaient au rendez-vous et le Capital n’avait qu’à bien se tenir. »
La jeunesse semble lui donner raison. Ainsi l’Union des Étudiants Communistes de France (UEC), par la voix de sa coordinatrice nationale, Marion Guenot, s’est adressée à la Ligue de la jeunesse communiste du Canada : « Notre mouvement, qui organise aujourd’hui plus de 12 000 jeunes communistes, après avoir fêté ses 90 ans de luttes en France lors de son congrès national au mois d’avril, affirme sa volonté de vouloir renforcer ses liens avec les organisations révolutionnaires du monde entier. »
Le monde entier, n’est-ce pas aussi l’afflux "planifié" d’Antillais, Guyanais, Réunionnais qui sont venus par vagues de dizaines de milliers pour travailler en France –sous le signe de la promotion sociale-, de 1963 à 1981. Ils travaillent dans les entreprises nationalisées ou le secteur public, par exemple dans l’automobile; paradoxalement, ceci donne à la CGT un nouveau champ à investir.
Elle a ainsi impulsé la création d’un collectif Confédéral des Originaires de l’Outre-mer qui a organisé en mai un évènement à Paris pour rendre proche à tous, les revendications du peuple haïtien, son histoire et son avenir.
L’union, c’est un cri du coeur de tous les continents. Notamment de l’Asie du Sud-est, du Bangladesh, dont on connaît les vêtements à si bas prix au Canada. Puisqu’on parle des travailleurs de ce pays, on ne peut passer sous silence la fusion en février 2010 du Parti communiste et du Parti des travailleurs. On prévoit prolonger ce rapprochement avec les autres partis de la gauche du Bangladesh. Même si c’est loin du Canada, il fallait en parler. Car, comme l’a dit Karl Marx après Sénèque : « rien de ce qui est humain, ne saurait m’être étranger ».
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jeudi, mai 20, 2010

PARIS AU PRINTEMPS

vol. 10, no. 5, Nouvelle édition, 25 mai 2010, $ 1.00

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Quelle belle escapade! Mais faisons un peu de « potinage »; même si ce n’est pas le genre de la maison. J’utilise aussi le « je » pour brosser un tableau intimiste d’un voyage formidable à Paris.
Je ne suis pas de ceux qui disent : ah, les Français sont comme ci, ou encore comme ça! Certes, il y a des traits nationaux, ne serait-ce que l’accent; toutefois, la société française comme la société canadienne est surtout traversée par des courants de classe sociale. Constat: les travailleurs de France ressemblent, quant à leur psyché, aux travailleurs du Canada.

Ce qu’il y a d’intimidant là-bas tient à peu de choses en réalité. D’abord, je suis originaire d’une petite municipalité de banlieue au nord de la ville de Québec -Orsainville-, où enfant, je partageais ma vie avec à peu près 2 000 habitants. Paris, c’est donc une très grande ville, un peu gigantesque même. Pour cela, ça va. L’embêtant, c’est qu’après avoir beaucoup milité dans des mouvements politiques et sociaux au Canada –et j’en préviens mes amis- j’ai eu des problèmes de santé. Il faut savoir préserver sa santé physique et mentale. Les conséquences sont parfois douloureuses et elles peuvent se manifester toute la vie. Ainsi, prenant des médicaments, on peut avoir des effets secondaires gênants.

Ne serait-ce que des « tremblements de mains », parmi d’autres, qui laissent perplexes nos interlocuteurs. Quant à moi je me dis : « me regarde-t-on? Est-ce que je suis jugé? Ai-je une certaine crédibilité? Bref, l’inconfort! Et comment peut-on dire à des gens que l’on connaît à peine que l’on a souffert d’une maladie?

Heureusement, j’étais reçu chez des amis, dans la famille Fuyet, à Malakoff dans une banlieue communiste de Paris. Hervé, le papa, est un grand intellectuel. Vous devriez voir sa bibliothèque : une vraie librairie! Mais il est aussi ceinture noir en karaté. Il faut tout de même le faire; il a –et je ne l’ébruiterai pas- plus de 70 ans. Sa fille, Peggy, aussi karatéka (championne de France ou quelque chose du genre) étudie le chinois mandarin. D’ailleurs, elle parle couramment l’anglais et le français. Elle commence à maîtriser le chinois, ça va de soi.

Peggy, est emblématique de l’avenir de la France et de la planète, dirais-je. Elle est métissée, jeune et très jolie. Tout de suite, je pense au temps des empires de l’époque gréco-romaine sur le pourtour de la Méditerranée : que ce soit en Sicile, au Liban ou en Grèce, les populations se sont fondues l’une dans l’autre et le résultat c’est que les habitants de ces contrées ont aujourd’hui un air de parenté et ils sont en général très beaux physiquement.


(Photo: Peggy à gauche et Violette à droite pendant une pause)
Le Premier mai, journée internationale des travailleurs, nous nous sommes rendus à un point de vente pour offrir aux passants du muguet. Violette, une jeune femme, communiste, en a profité pour amorcer une discussion sur le Québec. C’est charmant non, Violette qui vend des fleurs. En après-midi, ce fut la participation à la manifestation des travailleurs, plus de 45 000 a-t-on rapporté. Et des communistes en grand nombre.

Communistes, communistes, communistes… Est-ce que c’est le seul mot que j’ai en tête? Non, mais quand on va en France, il faut se préparer à en voir plusieurs. Il y a des traditions là-bas. D’ailleurs, j’ai pu rencontrer un révolutionnaire dont le mouvement politique est demeuré dans la pure lignée des grands du mouvement communiste français; il s’agit de Daniel Antonini, un des dirigeants du Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF), un ancien leader du Mouvement de la jeunesse communiste de France (MJCF). Nous avons eu une longue conversation; en premier lieu dans un restaurant typiquement français –nos restaurants La Belle Province font un peu pic-pic à côté de cela!-; ensuite, en voiture durant une visite des plus beaux sites de la capitale. Au Trocadéro, près de la tour Eiffel, nous avons continué de "jaser". Près de cette oeuvre assez grandiose, nous avons rencontré des amis cubains et français exigeant la libération des Cinq de Cuba dont nous avons déjà parlé dans le bulletin (et nous en reparlerons encore).

Par ailleurs, n’allez pas croire qu’il n’y a plus de démocrates authentiques au sein du Parti communiste français (PCF). Un après-midi, Marie-France Astegiani m’a guidé vers l’édifice de la Confédération générale du travail (CGT) pour y rencontrer des camarades. Ce qu’il faut savoir d’elle principalement, eh bien c'est qu' elle siège au Comité national du PCF; oui, elle est dirigeante… Et puis, on parle à bâtons rompus : « tu sais, quand Jean Ferrat est décédé, j’ai pleuré comme une Madeleine ».

Elle a des sentiments... Quelle surprise! Les mass médias nous peignent toujours les dirigeants communistes comme des êtres froids, sans âme et bien au-dessus des émotions des midinettes et des ouvriers ordinaires. Mais Marie-France, elle est issue du peuple. Quel bonheur! Elle m’a présenté à tous ses amis de la CGT dont Monique Vatonne, une des responsables ainsi que Pierre Judith. Ils préparaient une activité spéciale en solidarité avec le peuple haïtien. J’ai revu Pierre et Monique quelques jours plus tard, justement lors de l’activité; évènement qui, tout compte fait, a attiré pas mal de monde dans l’édifice de la CGT à Montreuil, périphérie de Paris. En passant, cet édifice ressemble au Complexe Desjardins dans le centre-ville de Montréal. Ça vous donne une idée de l’importance de cette construction. Comme l’a dit Monique, au début de l’évènement : « c’est le fruit des cotisations des adhérents à la CGT ».
(Photo: cortège de la Confédération générale du travail-CGT, lors de la manifestation du Premier mai à Paris, 2010).

Pierre, lui, était très décontracté. On aurait cru que nous nous connaissions depuis des lustres. Tout à fait dans le genre des syndicalistes québécois, dont ceux de la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ). Le temps passait, personne n’arrivait. Pierre de dire, philosophiquement : « tu verras, les mecs ils arrivent toujours un peu tard, c’est comme ça. » Il avait raison; la salle s’est remplie assez rapidement tout d’un coup, tout juste avant que ça commence.

Sur place, on pouvait rencontrer une écrivaine antillaise, Suzanne Dracius, qui présentait ses écrits dont L’autre qui danse, un beau roman sur la mentalité des jeunes Noirs, qu’ils soient de Paris ou des départements d’Outre-mer. Parlant de ces pays, notons la présence des camarades de l’Île de la Réunion vivant en France : l’île est située, pour vous donner une idée, dans l’Océan Indien à l’est de l’Afrique, c’est un département français. On y parle français et un créole très élégant. L’élégance, c’était aussi dans le costume que portait entre autres une militante du syndicat, elle-même native de l’Île.
(Photo: militante de la CGT dans ce costume national de l'Île de la Réunion, à l'intérieur de l'édifice de la CGT à Paris).

Comme je l’avais promis à Johan Boyden, secrétaire général de la Ligue de la jeunesse communiste du Canada (LJC), j’ai rencontré Marion Guenot, coordinatrice nationale de l’Union des étudiants communistes de France (UEC); il semble que cela a cliqué puisqu’elle a écrit à la LJC pour approfondir les liens entre les deux organisations. Au grand plaisir de Tim Pelzer de Vancouver, réviseur de La Vie Réelle in English, qui est plutôt « fan » de l’histoire du mouvement communiste français.

Tout ce temps-là, c’est Hervé qui m’a hébergé. Vous ai-je dit qu’il parle couramment le « joual québécois »? Peggy idem. Alors, c’est avec beaucoup d’empressement que j’ai fait les quelques travaux de rénovation qu’ils voulaient entreprendre dans leur appartement. Premier réflexe au retour à Montréal : j’ai téléphoné à mon père vivant dans la région de Québec pour lui expliquer ce travail et comment je l’avais fait –compte tenu que nous n’avions pas tous les outils requis- il m’a dit et - j’espère que tu entends, Hervé!- que l’ouvrage pouvait être certifié « conforme aux standards de qualité canadiens ». Ouf!

J’ajoute que mon père est un ouvrier de construction à la retraite; c’est lui qui m’a appris le métier. J’ai 53 ans aujourd’hui et j’avais 13 ans quand j’ai commencé à travailler à temps partiel avec lui sur les chantiers où je faisais alors du nettoyage et de l’entretien. Mais encore maintenant, les livres m’impressionnent et j’ai acheté au vide-grenier de Malakoff un livre de Jean-Paul Sartre, Situations, VII (problèmes du marxisme, 2), pour mieux comprendre la pensée d’un intellectuel français sur le communisme. J’ai commencé à le lire, mais –et je m’en excuse- je trouve cet ouvrage un peu ennuyeux… Mais je vais le lire en entier!

Pendant ce temps-là, Hervé poursuit son travail de coordinateur de l’édition en langue anglaise de l’Humanité et de l’encyclopédie marxiste Cocowikipédia : "l’œuvre de ta vie", lui ai-je dit en toute vérité. Ce sera quelque chose.

L’an prochain : envolée pour New York.

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vendredi, mai 14, 2010

LE THÉÂTRE RUSSE

vol.10, no. 4, Nouvelle édition, 17 mai 2010, $ 1.00

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Je rédige cette chronique en me laissant bercer par une musique de sirtaki grecque. Elle m'emmène déjà à mi-chemin entre Montréal et Moscou. Mais que savons-nous de la Russie d’aujourd’hui? Les médias de communication de masse au Québec nous rapportent que c’est une société violente : n’y a-t-il pas eu des attentats meurtriers dans le beau métro de Moscou récemment? Des troubles sporadiques secouent le Caucase rattaché à la Russie. Les gens sont pauvres. Bref, tout les accable.

Il semblerait qu’ils ne soient bons qu’au hockey, ou encore à mettre quelqu’un en orbite terrestre. N’ont-ils pas réalisé le rêve du fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté? Les grands médias les peignent comme d’éternels « perdants » dans l’Histoire : l’échec de leur socialisme en est le témoin, n’est-ce pas?

Bon, un petit connaisseur dans le coin là-bas lève le doigt… Quoi, vous avez quelque chose à dire pour leur défense? De quoi parlez-vous, de culture et d’art? D’un médecin? Alors ne voilà-t-il pas qu’un docteur, ouvertement humaniste s’est mêlé de plonger dans la psyché du peuple russe de son époque…

Donc, le docteur Anton Pavlovitch Tchékhov (1860-1904), entreprit de brosser un tableau de la vie médiocre et absurde des petits nobles et personnalités locales russes, entre autres dans La Mouette, en 1896. Oui, mais c’était avant les communistes, alors est-ce que ça compte?
(Photo: la campagne canadienne ressemble beaucoup à la campagne russe, ici le printemps).

Détrompez-vous, car l’homme de théâtre allemand communiste Bertolt Brecht a écrit plus tard dans Les Arts et la révolution (L’Arche, Paris, 1970, pp. 172-173) que « les artistes réalistes mettent l’accent sur ce qui appartient au monde sensible, sur ce qui est ‘de ce monde’, sur ce qui est typique au sens profond du mot (ce qui a une signification historique) ». [Il ajoute :] « Les artistes réalistes décrivent le pouvoir des idées et le fondement matériel des idées. »

L’année qui suivit le décès de Tchékhov; un des chefs des communistes de Russie, Vladimir Lénine écrivit : « Il est indiscutable que la littérature se prête moins que toute chose à une égalisation mécanique, à un nivellement, à une domination de la majorité sur la minorité. Dans ce domaine, certes, il faut absolument assurer une plus large place à l’initiative personnelle, aux penchants individuels, à la pensée et à l’imagination, à la forme et au contenu. » (Œuvres, Éditions du Progrès, Moscou, 1967, tome 10, p.37).

Le grand metteur en scène Stanislavski a rencontré Tchékhov avant la révolution. Pour l’homme de théâtre français Jean Vilar : « Le théâtre russe est encore tout jeune. Nulle tradition ne l’étouffe. On peut tout créer. La révolution socialiste (d’octobre 1917, ndlr), après l’avoir oublié pendant cinq ans, le réintègre à sa place : la première. Et dès lors, son style, son exemple, son école, sa méthode de formation, sa morale s’étendront à toute l’Europe, au monde entier. » (Préface à C. Stanislavski, La formation de l’acteur, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1963, pp. 7-8). Même Hollywood, ce Hollywood contemporain, n’échappe pas à l’engouement, ne serait-ce qu’à l’École d’art dramatique Tchékhov; ou encore à Montréal, où le Théâtre du Nouveau Monde (dirigée par Lorraine Pintal) avoue son penchant pour le grand metteur en scène russe.
[Puis-je interrompre ce texte pour dire que la musique grecque est très belle et qu’un bon verre de vin résiné rouge serait bienvenu, quel délice!]
Pour ce qui est du théâtre, Stanislavski a aussi fait justement observer aux acteurs, se fondant sans doute sur son expérience avec Tchékhov : « Vous n’avez pas essayé de faire impression sur les spectateurs. Vous avez planté les graines de votre rôle et vous les avez laissées germer, en suivant les lois de la nature. […] La création n’est pas un ‘truc’ technique. Ce n’est pas une simple peinture d’images et de passions […] Notre création est la conception et la naissance d’un être nouveau : le personnage. C’est un processus naturel semblable à la naissance d’un être humain. » (ibidem, p. 308).

Mais pour revenir à la Russie d’aujourd’hui, réfléchissons avec Maxime Gorki lorsqu’il écrivit sur Tchékhov (Progress Publishers, Moscou, 1982, p. 148) : « Un autre phénomène particulier en Russie devrait être noté : l’augmentation inhabituelle du nombre de personnes dites ‘superflues’, ‘incapables’, ‘futiles’ et ‘non-désirées’. C’est un fait évident; les causes le sont tout autant. Ceci représente un danger; puisque ces gens sans volonté, espoir ou désirs – représentent une masse qui peut être manipulée habilement par nos ennemis (i.e. opposée aux partisans du socialisme, ndlr). Quand la littérature fait état du fait qu’on doit aborder cette situation dans la société cultivée il n’y a rien de déconcertant en soi, puisque la culture s’appuie sur l’énergie du peuple; si c’est le peuple qui met au premier plan ‘les incapables’ et les femmes ainsi que les hommes ‘non-désirés’; alors il y a lieu de s’inquiéter, puisque un fait de cette nature révèle que les forces culturelles populaires sont en déclin. Ce phénomène doit être pris en considération et être contrebalancé; la littérature a l’obligation soit de faire fi (artistiquement, ndlr) de telles personnes ou, en les motivant, de les diriger vers une vie riche en activités.
(Photo SolidNet: manifestation des communistes russes en 2009, luttant pour le socialisme et une vie meilleure).
La Mouette

Un parallèle s’impose entre la vie avant la révolution, qui se fit sous la direction du parti communiste (bolchévique), en octobre 1917 avons-nous dit, et l’époque « nouvelle » actuelle (1990 et ss.). L’URSS démembrée en 15 républiques indépendantes, agitées (on a en vue l’ancienne république de Kirghizie), et appauvries (le niveau de vie a plongé et les soutiens sociaux ne répondent pas à la demande. À titre d’exemple, des centaines de milliers de Russes et autres anciens citoyens soviétiques sont venus au Canada et à l’Ouest pour y réaliser leur rêve d’un pays calme, pacifique et prospère pour se refaire une vie, sinon celles de leurs enfants.

Au XIXème siècle, il y eut aussi un mouvement migratoire, notamment des Ukrainiens vers l’Ouest canadien pour y trouver un « paradis » dans l’exploitation de fermes familiales qui les ont nourris, eux et leur famille. Mais dans les campagnes russes, les gens instruits : hommes d’Église, inspecteurs divers, médecins, ingénieurs et administrateurs de la bureaucratie tsariste; vivaient des moments plutôt mornes et souvent parasitaires.

Tchékhov, d’un ton mordant, a dressé le décor de leur existence, notamment dans La Mouette. Pour les amoureux de la langue russe, on peut se procurer cette pièce en français un peu partout au Québec dans le Livre de poche (L’Arche, 1960, Paris). Maxime Gorki, dont nous parlions un peu plus haut, l’a dédicacé comme suit : « Devant cette foule ennuyeuse et grise d’êtres impuissants un homme a passé, grand, intelligent, attentif à tout; il a observé les fastidieux habitants de sa patrie… et il leur a dit de sa belle voix si sincère : ‘ Vous vivez mal, messieurs’. "(Caricature Argenpress: après la dictature militaire en Argentine, les dirigeants voulurent "bâtir" la paix; n'est-ce pas ce que font les dirigeants actuels de la Russie à l'égard du peuple russe?).
La version française, traduite notamment par Genia Cannac, se termine par une description du travail de Stanislavski « qui élabora minutieusement une mise en scène détaillée […] et s’attacha à éclairer les dessous humains de la pièce, à révéler le drame caché sous des propos quotidiens, à faire ressortir les qualités musicales du dialogue. » Mentionnons que ce livre est présenté aussi par Jean Vilar, l’homme de théâtre français.

Pour ceux qui en ont le goût, on peut se procurer au magasin La Petite Russie sur la rue Queen’s Mary à Montréal (métro Snowdon) une vidéocassette de cette pièce dont le film a été primé au IXe Festival international de cinéma de Chicago en 1973; il fut produit en Union Soviétique et refait en 1998. Il s’inscrit dans la série s’intitulant : « Les classiques de la littérature à l’écran ». On peut aussi se procurer à ce magasin, et à un prix très abordable l’original en russe de quatre pièces de Tchékhov : Oncle Vania (une adaptation a été réalisée aux USA, sous le titre des ‘Amours champêtres’, en 2002), Les Trois sœurs, La Cerisaie et bien entendu La Mouette. Ces pièces disponibles dans un même livre ont été publiées par Les Éditions AST, Moscou, en 2005.

Le dernier mot de la maison d’édition: c’est une œuvre éternellement actuelle…
Veuillez noter qu'à partir du 24 mai, des articles seront publiés sur l'autre France, la France révolutionnaire, dont un regard sur le mouvement communiste.
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