dimanche, février 08, 2009

LA LITTÉRATURE ET LA CRISE

vol. 9, no. 6, 9 février 2009, $ 1.00

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Eh oui, elle était là, inévitable! Des données s’accumulent: perte possible de 2 000 emplois dans l’aciérie, 1900 confirmés dans l’aéronautique… Depuis les Fêtes du Nouvel An, les médias nous mettaient en garde, avec une nuance: le Québec serait moins touché.

Avec un peu de recul, on peut jeter un œil sur le programme du Parti communiste du Canada qui explique que « le capitalisme monopoliste actuel se caractérise principalement par le rôle dominant des entreprises transnationales […] Mais malgré tout son pouvoir économique et idéologique actuel, le capitalisme monopoliste est plongé dans une profonde crise systémique dont il est incapable de sortir (p.12). [Déjà] il intervient également de manière indirecte au moyen d’un réseau d’instituts et de comités d’experts (« think tanks ») qui lui sont favorables. Il utilise son contrôle sur les médias pour influencer les idées et les attitudes de la population et pour influencer sans aucun scrupule les résultats des élections (p.14). »

Friedrich Engels, compagnon de route de Karl Marx a écrit justement que: « Dans chaque crise, la société étouffe sous le faix de ses propres forces productives et de ses propres produits inutilisables pour elle, elle se heurte impuissante à cette contradiction absurde: les producteurs n’ont rien à consommer, parce qu’on manque de consommateurs. La force d’expansion des moyens de production fait sauter les chaînes dont le mode de production capitaliste l’avait chargée (Anti-Dührhing, Editions Sociales, Paris, 1950, p. 321). »

Espérons que le lecteur n’est pas trop ennuyé par ces incursions livresques marxistes. Il faut se consoler: même les économistes français de droite se sont mis à l’étude du Capital de Karl Marx, alors? De nos jours les crises sont avant tout financières. C’est là l’essence de la crise qui a débuté aux États-Unis; mais quel rôle ont joué les guerres en Irak et en Afghanistan dans cette crise? N’a-t-on pas dit au printemps 2008, que la guerre en Irak, à elle seule, a entraîné des dépenses de plus de 3000 milliards $ depuis son début en 2003? Évidemment, elle ne peut se réduire qu’à de chiffres aussi froids; on ne pourra jamais oublier les victimes états-uniennes et irakiennes.

En 1848, Karl Marx et Friedrich Engels ont rédigé le Manifeste communiste, et estimé que « les crises commerciales par leur retour périodique menaçaient chaque fois l’existence de toute la société bourgeoise. Durant ces crises, non seulement une grande part des produits existants, mais aussi des forces productives créées auparavant est périodiquement détruite (Washington Square Press, Pocket Books, New York, 1977, p. 67). »

Pourtant, il semble que les travailleurs encaissent sans broncher. Un ancien membre du Comité central du Parti communiste français, Lucien Sève, a eu la possibilité de visiter le Québec dans les années 1990. Il a écrit ensuite, à propos du courant révolutionnaire, qu’il se trouve en difficulté: « Il l’est aux USA, au Canada, en Grande-Bretagne, en RFA (République fédérale d’Allemagne, ndlr), où les partis communistes, malgré leurs mérites, ont le plus grand mal à décoller (Communisme, quel second souffle?, Éditions Sociales, Paris, 1990, p. 10-11). »

Enfin discutons d’un dernier témoignage sur ce thème; après tout, nous ne sommes pas là pour nous apitoyer sur notre sort. Le philosophe français Georges Gastaud a porté le jugement suivant sur notre époque : « Jamais l’écart n’aura été si grand entre l’aspiration des peuples à un changement radical et leur soumission idéologique aux forces de l’antichangement, qu’elles soient conservatrices, néolibérales, ultra réactionnaires ou social-démocrates […] Jamais révolution n’aura été à la fois si nécessaire objectivement et si « impossible » subjectivement […] Ainsi se manifeste, à l’échelle mondiale, une crise de l’avant-garde qui livre les peuples, exaspérés par la crise, aux démagogues intégristes, nationalistes et populistes, fidèles serviteurs malgré leur verbe protestataire, du nouvel ordre mondial. (Mondialisation capitaliste et projet communiste, Le Temps des cerises, Pantin, 1997, p. 209-210). » L’élection du dirigeant de Québec solidaire, Amir Khadir, dément heureusement ce diagnostic. L’élection de Barack Obama en tant que président des Etats-Unis sonne le glas d’un certain régime républicain rigide et réactionnaire, mais elle n’est pas un renoncement au capitalisme.

Maintenant que faut-il faire? Se croiser les bras et attendre le Messie?

La littérature et la révolution

De tout temps, des intellectuels, tel le médecin canadien Norman Bethune; des journalistes engagés, comme l’états-unien John Reed et de grands artistes, dont le français Picasso, ont choisi de se joindre aux ouvriers, aux « prolétaires » comme Karl Marx les appelait avec beaucoup d’affection. Son compatriote allemand, Bertolt Brecht (1898-1956) a tenu à préciser, près d’un siècle plus tard, que « dans Berlin conquise, le commandant de place soviétique ordonne dès les tout premiers jours que soient rouverts les théâtres fermés par Hitler. L’ennemi, terrassé à si grand-peine, était invité à se rendre au théâtre (Les Arts et la révolution, L’Arche, Paris, 1970, p. 111). »

C’est très parlant tout cela. Cela démontre toute la place que les communistes réservent aux arts dans la révolution et après la prise du pouvoir par la classe ouvrière. La lutte pour le mieux-être économique s’avère cruciale, mais tout autant celle pour l’esthétisme et le beau. La conscience que le prolétariat et ses amis doivent batailler ferme pour un monde meilleur se confond avec ce projet dans un pays comme le Canada qui ne sera plus capitaliste, mais en route pour le socialisme.

Une petite note d’explication: quand les communistes parlent d’ouvrier, ils n’ont pas pour référence le seul travail manuel; ils incluent aussi le travail intellectuel où les soi-disant professionnels rendent disponibles leur cerveau pour des tâches productives dans la société, même si leurs salaires s’avèrent de loin plus élevés que les travailleurs manuels en général. Faut-il rappeler idem que le communisme est d’abord un mouvement international; ce n’est donc pas étonnant que son action soit de plus en plus concertée et qu’elle se consolide chez les ouvriers des pays industrialisés appuyés par les travailleurs immigrants qui viennent y vivre, que ce soit au Canada ou ailleurs.

Brecht saluait aussi, ouvert à tous les horizons, l’œuvre du soviétique Maxime Gorki: « La haute valeur artistique et politique que représente Gorki dans la littérature russe et la littérature universelle ne peut être mise en doute […] J’ai moi-même porté à la scène son roman La mère et je suis donc un exemple de la façon dont s’exerce son influence (Les Arts et la révolution, L’Arche, Paris, 1970, p. 70). »

Parlant de La mère voici un court extrait, très révélateur du régime tsariste, qui se situe vers la fin du roman: « On la poussait dans le cou, dans le dos, on la frappait aux épaules, à la tête; tout se mit à vaciller, à rouler dans un sombre tourbillon de cris, de hurlements, de coups de sifflets; la sensation de quelque chose d’épais et d’assourdissant pénétra dans ses oreilles. (La Mère, Maxime Gorki, les éditeurs français réunis, Paris, 1952, p. 447). »

C’était avant la révolution d'octobre 1917. C’était avant la Constitution de l’URSS de 1977 qui stipulait à l’article 15 que « le but suprême de la production sociale en régime socialiste est de satisfaire de la façon la plus complète les besoins matériels et culturels croissants des hommes. » Bien sûr, et j’entends beaucoup qui ricanent, le pays de Lénine n’a jamais vraiment rejoint la société de consommation et de confort comme on l’entend en Occident, ravagé par la deuxième guerre mondiale et entraîné dans une course aux armements qui absorbait les forces vives de l’Union soviétique. Mais le Parti communiste de la fédération russe est demeuré le deuxième parti politique en importance en Russie et des millions de citoyens ont confiance en lui pour pouvoir respirer un peu plus l’air de liberté que les capitalistes russes leur ont promis depuis la contre-révolution des années 1990. N’y ont-ils pas droit?

La poétesse Susanne Hamel-Michaud, a réuni ces mots pour composer :

« PAIN DE L’ÉGALITÉ DE LA FAIM - I –

Blé mal levain
Pour le pain de la faim
Et rompre le silence
Au cœur du ventre
Des affamés
Offensés et pillés
Et toi âme alertée
Sous le vent
Pense à ton honneur
À tout un continent
Qui se meurt »

(La Chambre aux miroirs, Editions d’Orphée, Montréal, 1990, p. 45)

En attendant, les poètes au Québec vivotent, naviguant de subvention en soutien financier. Bientôt viendra ce jour où ils regarderont bien droit dans les yeux la classe ouvrière et lui diront: « je marche avec toi, où allons-nous? »


danieleugpaquet@yahoo.ca


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