dimanche, décembre 21, 2008

LE PEUPLE TURC ET SES MESSAGERS

vol. 9, no. 1, 1-15 janvier 2009, $ 1.00

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Le peuple turc a besoin de tous ses messagers


ZAGREB--YOUGOSLAVIE. C’était à l’été 1975, j’attendais le train pour me rendre en Italie. Un homme s’approcha de moi et se mit à me parler. Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il me disait. Après quelques hésitations, nous avons découvert en même temps que nous baragouinions l’allemand. Avec moult circonlocutions et bredouillages, nous nous sommes présentés. Moi, citoyen canadien; lui, Turc. J’ai tenté de lui expliquer que j’étais étudiant et que je voyageais en Europe. Il m’a répliqué qu’il était ouvrier, ouvrier de la chaussure. Il m’a toisé du regard, en me jaugeant et a lancé dans un allemand laborieux: Schreiben Sie Deutsch? Si je pouvais écrire en allemand? - Pas vraiment… Il a alors commencé à insister poliment, mais en essayant de démontrer tout ce qu’il y avait de vital dans sa demande. Il voulait que je lui écrive une lettre de recommandation pour pouvoir aller travailler en République fédérale d’Allemagne (RFA) dans une manufacture de chaussures pour y gagner de quoi faire vivre dignement sa famille qu’il avait laissé à Istanbul.

Je lui ai dit que je ne pouvais pas faire cela. Il a continué et si bien que j’ai fini par lui écrire une lettre de recommandation. Qu’est-ce qu’il pouvait être heureux! Il m’a invité dans sa famille quand il retournerait chez lui. Il m’a offert des cigarettes. Non je ne fume pas. Il fallait que j’en prenne une, car la lettre valait bien une petite entorse à la santé. Ne fallait-il pas fêter?

J’ai pris le train pour la péninsule italienne. Je ne l’ai jamais revu. C’était la première fois que je rencontrais un Turc, un ouvrier, un homme petit de taille, les cheveux noirs; il était très sympathique.

Info-Türk

Quand j’ai créé ce bulletin, je voulais des lecteurs, alors je me promenais sur des sites Internet de gauche et je copiais les adresses d’organismes ou de personnes progressistes. C’est ainsi que je suis un jour tombé sur Info-Türk. Je ne savais pas ce que cela représentait. J’ai pensé à mon « fabricant » de chaussures qui doit bien être à la retraite maintenant. J’ai songé à mes balbutiements dans cette langue à la veille d’un voyage que j’ai fait au Turkménistan en URSS en 1990; je croyais qu’on y parlait Turc!? Mais je n’étais pas aussi ignorant sur les réalités politiques de la Turquie. J’avais appris sur le génocide arménien au début du XXème siècle. Je connaissais la situation des Kurdes, notamment par la lecture d’un document du Parti communiste kurde. Je comprenais le droit du peuple kurde à l’auto-détermination et à la création d’un territoire viable réunissant ce peuple écartelé entre l’Irak, la Syrie et la Turquie notamment.

Mais tout récemment, par le biais d’Info-Türk, les zones d’ombre se sont dissipées et il est devenu clair que des progressistes d’origine turque comme mon artisan de la chaussure revendiquent –et tout à leur honneur- les droits des minorités nationales sur le territoire de la Turquie ainsi que les droits des citoyens. Parmi ces gens, on retrouve Dogan Özgüden, justement le rédacteur en chef d’Info-Türk, publié en Belgique.

Menacé de lynchage

Chez lui, en Turquie, on a engagé une cinquantaine de procès contre celui-ci. Maintenant, on l’accuse avec des termes à peine voilés d’être un traître à la patrie, en affirmant par le biais du site Gündem que « ce n’est pas difficile de comprendre qu’ils n’ont aucune sympathie pour notre peuple et notre patrie. »

Je ne connais pas M. Özgüden, ni son activité journalistique en général; mais Info-Türk, oui je connais et c’est elle qui m’a rappelé mes plus beaux souvenirs sur la Turquie, sur le peule turc et sur mon désir d’y aller un jour pour retrouver mon ami et parler de son travail passé en RFA, et sur ses souliers qui l’ont probablement amené dans bon nombre de pays en Europe pour gagner sa vie et soutenir sa femme et ses enfants.

Si M. Özgüden est de cette trempe, il est l’ami du peuple turc et … du peuple canadien qui respecte le travail manuel et bien fait. Il aura la solidarité des démocrates du Canada. C’est pour cela que La Vie Réelle a voulu commencer l’année nouvelle 2009 en faisant connaître à ses lecteurs: les détracteurs de la démocratie, du droit à la libre expression et à l’information, ainsi que les valeurs que le rédacteur en chef promeut pour la Turquie et le monde.

Faire appel au lynchage d’un dissident, ce n’est pas une lutte d’idées, c’est une régression totale, évidemment arbitraire et éminemment condamnable. Le peuple turc jugera quand les brouillards et signes nationalistes se seront dissipés. D’ici là, nous nous emploierons à faire triompher la vérité et lutter pour que M.Özgüden puisse mener à bien son combat pour le progrès, la démocratie et la liberté.

Notons enfin que l’Association des journalistes de Turquie (TGC) vient de reconnaître son travail et lui a transmis une lettre de remerciements pour services rendus en soulignant son journalisme de qualité.

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