vendredi, mars 30, 2007

Quel est votre diagnostic «docteur» Tchékhov ?

vol. 7, no. 4
Daniel Paquet *

Anton Tchékhov, auteur russe, a beaucoup écrit sur la psychologie de la petite bourgeoisie campagnarde en Russie, fin XIXième siècle. Son contemporain, le comte Léon Tolstoï, lui, a créé une véritable fresque littéraire de la société russe du siècle en question. Cent ans plus tard, fin des années 1970, l’avenir s’annonçait enfin radieux en URSS. Mais le malheur les a rattrapé. Changement de régime : confusion et espoir ; tout y passa.

La santé mentale en Russie

Comme le rapportait La Presse de Montréal du jeudi 11 mai 2006, le problème le plus dramatique selon le président de la Russie, Vladimir Poutine, c’est que «la Russie a perdu quelque 5,8 millions d’habitants depuis 1993. Elle compte près de 143 millions d’habitants, mais la population décline de 700 000 personnes par an. Cette chute est due à une faible natalité et à la surmortalité masculine liée à l’alcoolisme.»

Un retour en arrière, vers les années 1990, nous apprend que le but du renversement de l’Union soviétique par le président russe Boris Eltsine et ses acolytes était de créer une nouvelle Russie capitaliste dans le plus grand pays du monde. La crise économique qui suivit entraîna des taux élevés de pauvreté et d’inégalité. Alors qu’en 1988 sous le régime socialiste 1,5 pourcent de la population vivait dans la pauvreté, sous le capitalisme entre 39 et 49 pourcent de la population croupit maintenant dans l’indigence. C’est presque une glissade vers l’époque de Maxime Gorki qui, lui, a rédigé une bonne partie de son œuvre à partir de ses impressions sur la vie des vagabonds dans la Russie des tsars à la charnière des XIX et XXième siècle. Beaucoup pourrait y voir un parallèle avec les itinérants qui errent dans les rues de Montréal ou d’autres grands centres urbains de par le monde. Un reportage récent présenté à la Société Radio-Canada dénombrait d’un ton lugubre qu’environ 100 000 itinérants avaient établi leurs pénates à Moscou ces dernières années. Aucun soutien ne leur était accordé, hormis quelques soupes populaires et l’aide de quelques médecins généralistes. Une véritable hécatombe!

Le revenu mensuel per capita chuta en dollars de $72 à $32 en 1993 et cinq ans plus tard le revenu tomba d’un autre 15 pourcent, selon des données du gouvernement russe. En 2004, le revenu moyen augmenta à $100 par mois, mais cette croissance n’est pas distribuée également.

Au moment du coup d’Etat de 1991, une proportion significative de la population, sûrement la majorité absolue, voyait d’un bon œil le futur, mais n’apercevant plus rien de prometteur, elle regarde de plus en plus fréquemment derrière vers les jours meilleurs, plus heureux et prospères qu’ils ont connu jadis. Même lors de grandes épreuves, le peuple soviétique avait su gardé sa dignité, en témoigne le dernier ouvrage de la britannique Catherine Merridale, Ivan’s War : The Red Army 1939-1945 et publié à Londres, où elle conclut «qu’un facteur important de la force de l’Armée rouge reposait sur le sens d’un but commun et le collectivisme, et transcendait les intérêts d’un seul individu . Elle a observé «que beaucoup de vétérans ont joui d’un grand réconfort psychologique de cette manière (…) en luttant pour un but commun et qu’ils ont eu raison.» D’autres personnes ont lorgné du côté des «paradis artificiels» avec trois millions de drogués. Notons que suite à l’usage non-protégé des seringues intraveineuses, le nombre d’individus identifiés VIH positives a augmenté de moins de 100 en 1989 à 1 million en 2003.

Le Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU - à propos de la Fédération russe - rajoute «sa préoccupation sur la discrimination des femmes au travail, du niveau significatif de violence contre les femmes et l’hésitation de la police à intervenir pour protéger les femmes en apportant des changements contre leurs agresseurs y compris les maris.»

Le bulletin BMJ Career Focus estime que les changements en Europe de l’Est et centrale depuis les années 1990 se sont soldés par des perturbations dans la santé des populations, y compris la santé mentale, notamment par la disparition des programmes sociaux ; ce qui a dégénéré en taux élevés de suicide et fortes mortalités par la consommation d’alcool et le tabagisme. Selon ce bulletin les interventions psychologiques sont encore limitées et cela est dû à l’isolement face à l’Ouest et le peu de connaissances fondées sur le diagnostic, les services adéquats et les interventions. Le FOCUS se hasarde même à déclarer qu’il y a peu de liens entre les initiatives pour la santé mentale et ceux déclarés pour les infections au VIH et l’usage de médicaments pour réduire les maladies et promouvoir la santé. Toujours selon cette source, ces pays «doivent développer et appliquer des politiques solides pour la santé mentale et les intégrer avec des réformes plus larges dans les soins de santé et d’autres secteurs reliés à la renaissance économique». Incidemment, on propose de réaliser en Russie ce qui se fait au Québec, soit l’organisation de la première ligne. «Les écoles dans la région devrait offrir une éducation intégrée en santé physique et mentale et les sociétés devraient accomplir des efforts pour réduire les stigmatisations sociales et la discrimination associée à la maladie mentale.» Voilà en substance les propos du directeur du bulletin, Rachel Jenkins, du Centre de collaboration de l’Organisation mondiale de la santé en Angleterre.


BBC News lors d’un programme radio de juin 2003 sous la rubrique Health Matters, affirmait que sous le «communisme, les personnes diagnostiquées comme malades mentales étaient enfermées dans des hôpitaux psychiatriques et privées du contact avec le monde extérieur». Or, FOCUS note que l’institutionnalisation de masse a toujours cours en Russie dans des hôpitaux et des internats, et ceux-ci «sont concomitants avec un système relativement sous-développé de soins de base». Mais en janvier 1993 on promulgua une loi qui protège les droits des malades mentaux et ceux-ci sont particulièrement nombreux en Russie.

Comme au Canada, «la majorité des familles que nous connaissons ont peur de dire à qui que ce soit leurs problèmes au travail, même à leurs proches», confirme Nelli Levina, qui anime un groupe d’entraide pilote à Yekaterinburg (un million d’habitants).

Le Service fédéral des Statistiques d’Etat a produit en 2005 un document sur le marché du travail en Russie, rendu public par le journaliste Andréi Zlobin de l’hebdomadaire russe The Moscow News : «La perte d’un emploi n’est pas un problème sérieux pour les Russes. L’emploi est en croissance et les salaires montent en flèche.» Si le chômage était dans les années 1998 et 1999, à 13 et 14% ; il n’est plus que de 7% maintenant en 2006.

Des réformes sont à venir en Russie, mais l’aide financière du gouvernement est capitale et celle-ci tarde à arriver. On connaît un peu le passé de la Russie . Quant à l’avenir du pays ? Faut-il rappeler que le peuple n’attendra pas de voir la venue de Diadia Moroz (père Noël) pour que des transformations réelles à tous les niveaux s’instaurent dans leur république.
Après tout, ils ont fait une révolution en octobre 1917 qui demeure toujours inégalée jusqu’à ce jour.
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* L’auteur a fait des études universitaires à Moscou en 1979 et a visité l’URSS à deux autres reprises.


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